
Les vers de terre sont considérés comme perturbateurs dans les écosystèmes naturels du Québec, principalement parce qu’ils accélèrent le cycle des matières organiques et la disparition des litières. Pour ces mêmes raisons qui augmentent les rendements et la qualité des sols, leur présence est considérée essentielle dans les agroécosystèmes, qui sont tout sauf naturels. Quand on observe les humains dans leurs grosses bagnoles ou hypnotisés par leur téléphone, quand on voit la consommation de plastique presque doubler à tous les dix ans et la façon dont on gère nos forêts, on se dit que les humains sont plus dangereux pour la nature que les vers de terre.
Les scientifiques travaillent à comprendre le rôle des vers de terre dans nos sols cultivés et à définir les fonctions qu’ils y effectuent. Sans pouvoir établir un lien direct avec ces fonctions, on classifie les vers de terre depuis 50 ou 60 ans selon un aspect de leur comportement c’est à dire la zone du sol où ils se déplacent, s’alimentent, se reproduisent, défèquent, etc. Les épigés vivent dans la litière superficielle et pénètrent peu dans le sol en dessous. Ils sont plus rares en sols cultivés et travaillés. Les plus adaptés à ces sols sont les endogés qui mangent beaucoup de terre minérale, sortent parfois en surface manger ou déféquer, rejettent beaucoup de déjections derrière en avançant dans le sol mais ne pénètrent pas en profondeur. Le troisième groupe est constitué des anéciques qui circulent à la verticale et pénètrent profondément dans les sols, créant des cavités nommées biopores. Ces canaux sont très utiles, ils structurent le sol en permettant à l’eau de rentrer en profondeur dans les sols, améliorant le drainage et la rétention d’eau et la réserve disponible pour les cultures. Ils favorisent l’enracinement profond, améliorant les rendements.
Comme l’absence de vers anéciques nuit au bon fonctionnement des sols, il faut prendre des mesures pour les favoriser. Diminuer la perturbation du travail de sol est la première. Instaurer des périodes de repos comme la culture du foin dans la rotation en est une autre. On peut même faire ça dans un potager.
Au Québec, on a deux espèces d’anéciques : Lumbricus terrestris, le grand lombric, passablement répandu et bien connu, et Aporrectodea longa, le ver à tête noire, peu commun. Les premiers sont bien présents dans mon jardin où j’ai identifié 14 des 21 espèces de vers connues au Québec. Je voulais introduire les seconds pour voir s’ils pourraient s’y installer, et comment ils complèteraient le travail des grands lombrics. Comme j’en ai trouvé dans une collecte à la pluie aux jardins Bio Campanipol il y a deux semaines, je suis retourné samedi dernier en ramasser quelques-uns.
Sur la ferme Campanipol, environ 60 % des superficies sont en légumes et en fraisiers, environ 10 % en engrais verts annuels et environ 30 % en foin mixte de légumineuses et graminées. La phase de foin dans la rotation est extrêmement importante car elle permet un repos durant 3 ans où les sols non travaillés sont enrichis en matières organiques. Avec les vers de terre, les racines de plantes sont considérées comme les ingénieurs du sol, qui créent les conditions favorables à tous les êtres vivants du sol, y compris nos plantes cultivées. Par ses racines, le foin produit plus de matière organique que toute autre culture. Les sols en culture de légumes sont passablement perturbés et les vers y sont moins abondants. C’est dans les champs de foin qu’on a trouvé le plus de vers de terre, et encore plus dans le foin de 3e année que dans celui de 2e année. Ce foin est récolté une fois et la 2e coupe reste en engrais vert ce qui apporte l’équivalent d’une bonne couche de fumier pour nourrir les vers et les autres êtres vivants du sol. Et dans ces prairies de foin on a trouvé beaucoup d’anéciques, y compris L. terrestris qu’on n’avait pas trouvé dans notre collecte de la semaine précédente. Les anéciques tolèrent peu le travail du sol et ils sont plus rares dans la phase légumes de la rotation. Mais dans la phase de repos ils augmentent et travaillent le sol en profondeur ce qui a le potentiel d’améliorer le sol et son drainage pour les années qui viennent.
Denis La France, Enseignant et expert en agriculture biologique
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